Le samedi 21 avril 2018, quelques dizaines de militants du mouvement extrémiste “Génération identitaire” se retrouvent au Col de l’Echelle dans les Alpes avec pour objectif de bloquer l’arrivée des personnes migrantes et de les renvoyer vers l’Italie, quitte à les mettre en danger. Ils déploient des banderoles haineuses, et matérialisent symboliquement la frontière avec une barrière de chantier. Ils s’instaurent en milice, dont les slogans et motivations sont clairement racistes. Nous rappelons que les provocations publiques à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale constituent un délit (Art. 24 alinéa 6 loi 1881) punissable d’un an d’emprisonnement et/ou amende de 45 000 € au plus. Les forces de l’ordre ne sont pas intervenues pour mettre fin à cette action, considérant donc, implicitement, cette manifestation comme tout à fait légale. Le Ministre de l’Intérieur lui-même a d’ailleurs minoré ces faits en les qualifiant de « gesticulation ».
En réaction à cela, plus de 160 personnes solidaires ont fait un cortège spontané pour passer la frontière avec des personnes migrantes. Contrairement aux identitaires, les solidaires se sont heurtés à un cordon de gendarmes, qui ont finalement laissé la manifestation avoir lieu. Quelques heures plus tard, alors que le cortège est fini depuis longtemps, trois jeunes gens qui en faisaient partie, Bastien et Théo, deux suisses, et Eleonora, une italienne, ont été arrêtés et placés en garde à vue. Ils sont restés en détention provisoire à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille pendant 9 jours avant d’avoir été libérés le 3 mai. Ils sont aujourd’hui poursuivis pour “aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière en bande organisée”, ils encourent une peine allant jusqu’à 10 ans de prison et 750.000 euros d’amende, assortie d’une interdiction de pénétrer sur le territoire français.
Bastien, Théo et Eleonora s’ajoutent à la longue liste de ceux que les médias ont appelé « délinquants solidaires » : Pierre-Alain, Francesca, René, Dan, Sylvain, Françoise, Raphaël, Martine, Cédric… Tous condamnés selon l’article L.622-1 et L.622-4 du CESEDA, communément appelé le « délit de solidarité ». Cet article qui a d’ailleurs été légèrement modifié par l’assemblée nationale française le lendemain des faits relatés ci-dessus, lors de l’adoption du controversé projet de loi Asile & Immigration en première lecture.
L’aide à la circulation ou au séjour irrégulier pourrait ne plus donner lieu à des poursuites pénales si « l’acte reproché a consisté à fournir des conseils et de l’accompagnement, […] des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci, ou bien tout transport directement lié à l’une de ces exceptions, sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif. »
Force est de constater que la preuve repose sur le simple citoyen et non pas sur le parquet, et la notion de “contrepartie directe ou indirecte” est suffisamment floue pour permettre des poursuites pénales sur des prétendues contreparties alors que l’action n’est dictée par le seul souci d’humanité et mue par la mise en oeuvre de la fraternité, devise de la République. Rappelons, par exemple que la cour d’appel d’Aix en Provence a reproché à Cédric Herrou une « contrepartie militante ». C’est pourquoi cette modification est inutile, et hypocrite.
Nous rappelons que la demande d’asile à la frontière est un droit fondamental très souvent bafoué par l’État français, créant des situations complexes, avec des personnes qui n’ont effectivement pas accès à leurs droits, et qui sont considérées «en situation irrégulière». Des citoyens se trouvent confrontés à cette réalité, décident de les aider, et réagissent pour beaucoup impulsivement. Ils sont poursuivis pour aide à l’entrée, au séjour et à la circulation de personnes en «situation irrégulière», termes d’une froideur déshumanisante qui invitent à considérer les personnes migrantes dépossédées de leurs droits comme des sous-hommes… Avant d’agir pour assurer la dignité de la personne en face de soi, il faudrait l’interroger sur sa situation administrative, alors même que ce contrôle ne relève pas du citoyen.
Aussi, s’il devient dangereux, illégal, d’aider ces «sous-hommes», alors que devient notre devise républicaine, et que deviennent nos valeurs égalité et fraternité?
Nous, citoyens de la République française, déclarons avoir déjà aidé, que nous aidons actuellement, et que nous aiderons à l’avenir toute personne migrante dans le besoin, même en situation irrégulière, au nom des valeurs d’ÉGALITÉ et de FRATERNITÉ inscrites dans notre devise nationale, qui est le socle de notre République.
Cédric Herrou, président de DTC – Défends Ta Citoyenneté
Premiers signataires :
Agnès Jaoui, Cinéaste, Comédienne
Alice de Poncheville, Scenariste, Ecrivaine
Alice Diop, Cinéaste
Anne Vellay, Médecin
Annie Ernaux, Ecrivaine
Arié Mandelbaum, Peintre
Arno Bertina, Ecrivain
Audrey Estrogou, Cinéaste
Benoit Hamon, Homme politique
Bernard Pagès, Sculpteur
Bertrand Tavernier, Cinéaste
Bevinda, Chanteuse
Bruno Caliciuri (CALI), Chanteur
Bruno Solo, Acteur
Médecins du Monde
Carmen Castillo, Ecrivaine, cinéaste
Catherine Corsini, Cinéaste
Catherine Withol de Wenden, Chercheuse au CNRS
Celhia de Lavarène, Journaliste
Céline Chapdaniel, Productrice
Christian Guémy (C215), Street artiste
Christian Olivier (Têtes Raides), Chanteur
Christophe Ruggia, Cinéaste
Claire Simon, Cinéaste
Colin Lemoine, Historien de l’art
Costa-Gavras, Cinéaste
Cyril Celestin (Guizmo du groupe Tryo), Chanteur
Didier Bezace Acteur, metteur en scène
Didier Super Humoriste, chanteur
Dominique Cabrera, Cinéaste
Edmond Baudoin, Auteur et dessinateur de BD
Eliette Abecassis Femme de lettres, scénariste
Elisabeth Perceval, Cinéaste
Emmanuel Finkiel, Cinéaste
Eric Bellion, Navigateur
Eric Fassin, Sociologue
Erick Zonca, Cinéaste
Ernest Pignon Ernest, Artiste plasticien
Etienne Balibar, Philosophe
Farida Rahouadj, Actrice
François Flahault, Directeur de recherche émérite au CNRS
François Gèze, Éditeur
François Morel, Cinéaste
Françoise Vergès, Politologue
Fred Vargas, Ecrivaine
Frédéric Lordon, Économiste
Geneviève Brisac, Ecrivaine
Geneviève Garrigos, Ancienne présidente d’Amnesty international
Gérard Krawczyk, Cinéaste
Gérard Mordillat, Romancier et cinéaste
Gilles Perret, Documentariste
Guillaume Meurice, Humoriste et chroniqueur radio
Guy Baudon, Documentariste
Henri Leclerc, Avocat
Imhotep du groupe IAM, Compositeur
Ingrid Metton, Avocate
Ingrid Thobois, Écrivaine
Jalil Lespert, Acteur
Jean-Michel Ribes, Comédien
JMG Le Clezio, Ecrivain
Jonathan Zaccai, Réalisateur
José Bové, Député européen
Joseph Beauregard, Auteur, documentariste
Josiane Balasko, Comédienne, cinéaste
Juliette Binoche, Comédienne
Juliette Kahane, Ecrivaine
Kaddour Hadadi (HK), Chanteur
Kéthévane Davrichewy, Ecrivaine
Laurence Côte, Actrice
Laurent Cantet, Cinéaste
Les Ogres de Barback, Groupe de musique
Lilian Thuram, Président de la Fondation Education contre le racisme
Lou de Fanget Signolet, Scénariste
Lucas Belvaux, Comédien
Magyd Cherfi, Chanteur
Mariana Otero, Cinéaste
Marianne Chaud, Ethnologue, cinéaste
Marie Darrieussecq, Ecrivaine
Marie Hélène Lafon, Ecrivaine
Marie Payen, Actrice
Marie-Christine Vergiat, Députée européenne
Mark Melki, Photographe
Martine Voyeux, Photographe
Maryline Desbiolles, Ecrivaine
Michel Agier, Anthropologue
Michel Broué, Mathématicien
Michel Toesca, Cinéaste
Michèle Ray Gavras, Productrice
Natacha Régnier, Actrice
Nicolas Bancel, Professeur ordinaire à l’université de Lausanne / CRHIM
Nicolas Bouchaud, Comédien
Nicolas Klotz, Cinéaste
Nicolas Philibert, Cinéaste
Nicolas Sirkis (Indochine), Chanteur
Pascal Blanchard, Historien
Pascale Dollfus, Anthropologue, CNRS
Patrick Pelloux, Syndicaliste / écrivain
Philippe Claudel, Ecrivain
Philippe Faucon, Cinéaste
Philippe Poutou, Ouvrier, syndicaliste
Philippe Torreton, Comédien
Pierre Grosz, Auteur
Pierre Lemaitre, Ecrivain
Pierre Salvadori, Cinéaste
Pierre Schoeller, Cinéaste
Rachid Oujdi, Réalisateur
Rachida Brakni, Comédienne
Raphaël Glucksmann, Essayiste
Rithy Panh, Cinéaste
Robert Guédiguian, Cinéaste
Robin Campillo, Cinéaste
Rokhaya Diallo, Journaliste et réalisatrice
Sam Karmann, Comédien, Réalisateur
Samuel Le Bihan, Acteur
Sophie Adriansen, Ecrivaine
Valérie Rodrigue, Ecrivaine
Vincent Fillola, Avocat, président d’Avocats Sans Frontières
William Karel, Cinéaste
Yvan le Bolloc’h, Acteur
Yves Cusset, Philosophe
Daniel Pennac, Ecrivain
Tribune publiée dans le journal Le Monde du 30 mai
https://www.change.org/p/dtc-d%C3%A9fends-ta-citoyennet%C3%A9-egalit%C3%A9-fraternit%C3%A9-2