Lettre ouverte en réponse au courrier de Mme Buccio, Préfète de la Gironde, au Resf33, du 8 mars 2021.

 

En Gironde, on met les enfants à la rue, on ne régularise plus, on ne reçoit plus les associations de défense des étrangers.

 Le 11 février 2021, 80 familles, 110 enfants (les 2/3 en âge d’être scolarisés et scolarisés) qui avaient trouvé refuge dans le squat « Zone Libre » (une ancienne RPA vouée à la démolition) à Cenon (métropole bordelaise) pendant 15 mois, ont été expulsés en plein hiver et en pleine crise sanitaire, jetant à la rue des dizaines de familles et leurs enfants. Resf33 faisait partie des associations et des soutiens qui ont accompagné ce squat et ses habitants : distributions alimentaires, soutien scolaire, contacts avec les écoles, distribution de cahiers de vacances, de cartes SIM pour des connexions internet…

Resf33, organisation née en 2004, rassemblant des enseignants d’écoles, de collèges, de lycées, d’universités, des éducateurs, des parents d’élèves, œuvrant pour la défense des familles étrangères d’enfants scolarisés, sollicite régulièrement la Préfecture pour que des comités de soutiens formés dans des écoles soient reçus en audience afin que des familles avec des enfants scolarisés puissent être régularisées, en particulier depuis une circulaire de 2012, dite  « circulaire Valls » qui précise et harmonise les conditions d’accès à des admissions exceptionnelles au séjour pour des familles d’enfants scolarisés prévue par le Code de l’Entrée et de Séjour des Etrangers (CESEDA).

 

Le RESF écrit à la Préfète au mois de mai 2020.

Croyant à la pérennité de ces « bonnes pratiques », Resf33, en mai 2020, au sortir du premier confinement, au regard des difficultés exceptionnelles de la période, a demandé une audience à la Préfecture. Nous sollicitions Madame la Préfète de Gironde pour qu’elle réexamine la situation de familles entrant dans les critères de la circulaire de 2012, comme la situation suivante :

Monsieur K … est né en 1989 et Madame K… en 1988. Ils sont mariés, de nationalité albanaise et en France  depuis novembre 2012. Ils ont trois enfants, dont deux nés en France (en 2014 et  2017), tous les trois scolarisés. Les parents maîtrisent parfaitement le français, ont travaillé lors de périodes où ils ont eu un titre de séjour temporaire, ont des promesses d’embauche. Leur dernière demande de régularisation en septembre 2019, après 7 ans de présence sur notre territoire, s’est soldée par un refus et une OQTF.

 

Il n’y eut jamais de réponses à notre courrier.

 

Le RESF écrit à nouveau à la Préfète au mois de mars 2021.

Au lendemain de l’expulsion du squat, en février 2021, nous avons renouvelé notre demande d’audience avec le même objectif : des réexamens de situations entrant dans les critères de la circulaire Valls de 2012.

 

Cette fois la préfète nous a répondu par écrit, mais sous la forme d’une fin de non recevoir enrichie d’arguments qui ne manquent pas ne nous interpeller :

 

– Ce que nous dit la Préfète : « Je ne souhaite pas engager une discussion sur des cas individuels »

– Ce que dit la circulaire de 2012, s’adressant à tous les préfets: « Dans un souci de bonne gestion administrative des demandes d’admission exceptionnelle au séjour, vous attacherez une importance particulière aux contacts réguliers avec les organisations syndicales, les organisations d’employeurs et les associations ou collectifs de défense des étrangers reconnus au plan local ou national »

 

– Ce que nous dit la Préfète : « Il m’appartient de veiller au départ de France des personnes n’ayant aucun droit au séjour, la voie de la régularisation n’étant ouverte que pour régler des situations exceptionnelles ».

– Ce que dit la circulaire de 2012 : « la présente circulaire rappelle et clarifie les principes qui régissent les modalités de réception et de traitement des demandes d’admission exceptionnelle au séjour et précise les critères d’admission au séjour sur la base desquels vous pourrez fonder vos décisions… elle prévoit la prise en considération des critères cumulatifs suivants : une vie familiale caractérisée par une installation durable du demandeur sur le territoire français qui ne pourra être qu’exceptionnellement inférieure à cinq ans, une scolarisation en cours à la date du dépôt de la demande d’admission au séjour d’au moins un des ses enfants depuis au moins trois ans »

– Nos commentaires : cinq années de présence en France, des enfants scolarisés depuis trois ans et plus, une maîtrise du français, des gages d’intégration reconnus par la communauté scolaire ne seraient donc pas des critères importants pour entrer dans une admission exceptionnelle au séjour ; c’est faire fi de la circulaire.

 

– Ce que nous dit la Préfète : « Vous intervenez dans un but de régularisation de familles alors que leur situation a déjà été étudiée par mes services, que mes décisions ont été validées par les juridictions administratives et qu’elles n’ont d’autre argument à faire valoir que leur durée de présence sur le territoire en situation irrégulière ».

– Ce que dit la circulaire de 2012 : « Vous veillerez à ce que vos services réceptionnent systématiquement les demandes d’admission au séjour formulées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, y compris lorsqu’elles ont fait l’objet d’une décision de refus de séjour suivie, le cas échéant d’une obligation de quitter le territoire, même lorsque ces décisions ont été confirmées par le juge »

– Nos commentaires : Mis à part le fait que lorsqu’on est une famille, dans un pays depuis 5 ans et plus, travaillant, avec des enfants scolarisés, nés en France pour beaucoup, ne connaissant que l’école de la République, on peut faire valoir de nombreuses preuves d’intégration, la Préfecture laisse à penser que l’ancienneté sur le territoire ne serait valide que si elle est « régulière » ! Elle laisse également à penser qu’une décision ancienne ne peut-être réexaminée, qu’elle serait irrévocable.

 

– Ce que nous dit la Préfète : « Le maintien irrégulier sur le territoire, l’occupation du bien d’autrui ou la recherche d’emploi sans autorisation préalable ne sont pas des comportements qui justifient à mes yeux la bienveillance que vous sollicitez ».

– Ce que dit le CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile) : l’accès au titre de séjour «vie privée et familiale » est ouvert « si vous justifiez de motifs humanitaires ou exceptionnels exemples : durée de présence en France, exercice antérieur d’un emploi, volonté d’intégration sociale, compréhension du français, qualification professionnelle, documents relatifs à des services rendus dans le domaine culturel… »

– Nos commentaires : Madame la Préfète indique clairement au Resf qu’elle n’a pas l’intention de suivre les recommandations de la circulaire de 2012 dont l’exposé des motifs est « de définir des critères objectifs et transparents pour permettre l’admission au séjour des étrangers en situation irrégulière et de guider les préfets dans leur pouvoir d’appréciation ». Cette circulaire, précise également que « l’admission exceptionnelle au séjour permet, dans le cadre fixé par la loi, une juste prise en compte de certaines réalités humaines ».

 

Ce courrier de la Préfecture de Gironde révèle et confirme des pratiques locales et une politique globale particulièrement inquiétantes :

– La préfète assure vouloir garantir la scolarisation de tous enfants présents sur le territoire, mais comment poursuivre une scolarité sereine après le traumatisme d’une expulsion en milieu d’année scolaire ?

– L’hébergement d’urgence, il faut le rappeler est inconditionnel, il n’y a pas de tri à faire entre ceux qui ont des papiers et ceux qui n’en ont pas, sauf à commettre des actes discriminatoires punis par la loi.

– Pour être régularisé en Gironde, il s’avère qu’on ne peut plus faire valoir la scolarisation suivie des enfants depuis 3 ans au moins, la présence sur le territoire depuis 5 ans au moins, une activité professionnelle… c’est-à-dire des critères objectifs et classiques d’intégration.

– La Préfecture de Gironde, en considérant que l’ancienneté sur le territoire n’est valide qu’en situation régulière, revient à déclarer qu’on ne régulariserait plus dans notre département et à titre exceptionnel s’il vous plait, que des personnes déjà en situation régulière !

– La Préfecture de la Gironde refuse de recevoir Resf33, une organisation « de défense des étrangers reconnue au plan local ou national » alors que la circulaire de 2012 l’invite au contraire à maintenir des « contacts réguliers », alors que, dans le même temps, pour les mêmes raisons, Resf31 par exemple, à Toulouse, est reçue en audience en Préfecture, où on confirme les critères de la circulaire et où on apporte une issue favorable à plusieurs demandes de régularisations de familles présentées par la délégation.

– Être sans papiers en France n’est pas un délit, un crime, ça n’est pas être l’ennemi de la France. La situation des « sans papiers », est très largement la conséquence d’un refus de reconduire des titres de séjour acquis, donc de la responsabilité de la Préfecture.

– Ces refus de régularisations sont une des causes de la multiplication des squats et des campements depuis plusieurs années.

Le mode de gouvernance à l’œuvre ici, a de quoi nous inquiéter toutes et tous. Il repose sur la diabolisation, ou l’infantilisation, en tous les cas sur le mépris des associations et des citoyens solidaires, il se manifeste par une personnalisation et une concentration du pouvoir dans les mains d’un haut fonctionnaire.

 Ces personnes, ces familles, ces enfants, sont là avec nous, depuis des années, ils existent, ils sont intégrés, seule notre administration préfectorale semble l’ignorer, il s’agit d’un refus de voir et d’admettre la réalité, un véritable aveuglement volontaire, un déni. La régularisation n’est pourtant pas un OVNI ou un tabou dans l’histoire de notre République.

 Cela fait des années que des experts pointent les effets désastreux de cette politique qui consiste à refuser de régulariser, à délivrer des OQTF, à précariser systématiquement, durement et longuement des personnes, des familles intégrées, accompagnées par des associations, des comités de soutien dans les écoles, des syndicats, des citoyens lambda.., une politique qui invisibilise les étrangers lorsqu’il faut respecter leurs droits mais sait mettre les moyens pour les pourchasser et les réprimer, une politique d’immigration contraire à nos valeurs de solidarité et dangereuse pour la démocratie.

 

 Réseau Éducation Sans Frontières 33

 Lundi 14 juin 2021