L’Assemblée vote la précarisation des contrats courts

MEDIAPART/15 mai 2020 Par

Le 15 mai, sous prétexte d’urgence sanitaire, le gouvernement a fait voter la possibilité pour les employeurs de déroger aux règles de reconduction des CDD jusqu’à la fin 2020. Un coup supplémentaire contre le code du travail déjà largement affaibli par l’exécutif.

 

Poursuivre le détricotage du code du travail. C’est ce que propose le projet de loi « portant diverses dispositions urgentes face à l’épidémie de Covid-19 » et qu’a voté l’Assemblée le 15 mai. En fait, le gouvernement change tout simplement les règles de reconduction des CDD et des contrats précaires sous prétexte d’urgence sanitaire. Cette décision s’appliquera jusqu’à la fin 2020 mais ses adversaires craignent qu’elle ne s’inscrive dans la durée.

Le projet de loi actuellement débattu par les députés a d’emblée été largement critiqué par une grande partie des groupes parlementaires en raison des 33 habilitations originelles qu’il contenait. Il donnait toute latitude au gouvernement à légiférer dans un délai pouvant aller jusqu’à trente mois (sur le Brexit) sur des sujets aussi divers que la réforme des cours criminelles, les conseils d’administration des associations de chasseurs ou l’harmonisation du traitement des demandes d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

La ministre du travail, Muriel Pénicaud, à l'Assemblée le 14 mai. © DR / Capture d'écran
La ministre du travail, Muriel Pénicaud, à l’Assemblée le 14 mai. © DR / Capture d’écran

Un « gloubiboulga » pour le communiste André Chassaigne, « indigeste » et « bringuebalant » pour M’jid El Guerrab de Libertés et Territoires (LT), « concours hippique » tant il y a de cavaliers législatifs selon Alexis Corbière (La France insoumise), ou tout simplement « fourre-tout » selon Antoine Savignat (Les Républicains).

Quoi de mieux qu’une immense botte de foin pour y cacher une aiguille ? Le gouvernement l’a bien compris qui s’emploie donc, comme pour célébrer en avance le troisième anniversaire des ordonnances Pénicaud réformant le droit du travail, d’asséner discrètement un ultime coup de boutoir à la protection des salariés les plus fragiles.

D’abord en commission sous la forme d’une habilitation à légiférer par ordonnance, puis à travers un amendement gouvernemental pour l’inscrire directement dans la loi, l’exécutif a tout simplement révolutionné le CDD et autres contrats courts. Selon la proposition gouvernementale, une simple « convention d’entreprise » pourra fixer « le nombre maximal de renouvellements possibles pour un contrat de travail à durée déterminée » et « fixer les modalités de calcul du délai de carence entre deux contrats ».

Déjà, la loi travail 2 avait largement assoupli les règles des contrats de ce type. Comme l’écrivait Mediapart à l’époque, chaque branche professionnelle peut désormais définir, dans le cadre des négociations qui s’y déroulent entre syndicats et patronat, la façon dont elle entend réguler l’emploi des contrats courts, notamment sur leur durée, leur renouvellement ou leur nombre total pour un même salarié. La seule règle qui s’applique désormais est fixée par la jurisprudence européenne : un CDD ne peut pas durer plus de cinq ans.

Un palier supérieur est franchi puisque c’est désormais au niveau de l’entreprise, où le poids des syndicats est parfois très faible, voire inexistant, que les dérogations pourront être négociées pour tous les contrats courts signés avant la fin de l’année. L’une des seules « lignes rouges » brandies – et respectée finalement par le ministère du travail – par la CFDT et Force ouvrière en 2017 vole en éclat sous les applaudissements d’une majorité encore bien loin d’un quelconque virage social.

L’exécutif, représenté dans l’hémicycle par Muriel Pénicaud puis par Marc Fesneau, revient à son fameux « libérer les énergies », même si l’expression a été opportunément abandonnée. Il faut, selon la ministre du travail, « trouver une solution pour maintenir les compétences ».

L’acrobatie sémantique est telle que Muriel Pénicaud affirme que ce nouvel assouplissement du droit du travail a pour but de « protéger les salariés les plus précaires » et éviter les « ruptures des contrats courts ». Étrange conception de la protection quand, au contraire, le gouvernement permet de graver dans le dur, et pour une durée de sept mois, l’abaissement des règles encadrant les CDD.

Ironiquement, le texte va même à l’encontre de la doctrine que l’exécutif avait faite sienne pour justifier la violente réforme de l’assurance-chômage, jugeant que la multiplication des contrats courts – dont certains peuvent désormais être taxés – nuisent au marché de l’emploi.

Face à cette incohérence et à cette attaque des droits des salariés, le communiste Pierre Dharréville accuse le gouvernement de « profiter de la situation » en vue d’une « précarisation des conditions d’emploi ». « Vous dégradez encore ce qui était inscrit dans les ordonnances [Pénicaud] », lance-t-il au rapporteur et au ministre Marc Fesneau qui n’en démordent pas sur les supposées « souplesse » et « agilité » qu’il convient d’offrir aux employeurs.

Plus timides, les socialistes et une vingtaine de « marcheurs », inspirés par la CFDT, demandent de maintenir la primauté d’un accord de branche qui garantit a minima un contre-pouvoir plus fort face aux employeurs et une égalité de traitement des salariés dans un même secteur.

Ces presque frondeurs – dont Émilie Cariou et Aurélien Taché, pressentis pour faire partie du futur groupe parlementaire dissident de LREM – insistent sur « cette considération systémique [qui] confortera par ailleurs la taxation des contrats courts ». Posant ainsi une pierre dans l’incohérence du gouvernement, même s’ils ne contestent pas la possibilité d’un accord d’entreprise si la branche ne s’est pas prononcée. Un « en même temps » minimal que le gouvernement et la majorité ne veulent pas entendre.

De fait, pour LREM, la députée Cendra Motin, usant d’un vocabulaire très patronal, souhaite un dispositif « au plus près des réalités du terrain », car « on a besoin de souplesse ». Vieille antienne du Medef pour détendre au maximum les brides du code du travail au profit d’une vision néolibérale des relations sociales.

En ce 15 mai au matin, ce que le gouvernement n’avait pas réussi à faire il y a un peu moins de trois ans avec la réforme Pénicaud – précariser encore plus les salariés les moins protégés –, la majorité LREM et MoDem y arrive enfin. Le fameux « monde d’après » plus attentif aux plus fragilisés ne semble décidément pas une préoccupation de ceux qui ce qualifiaient il y a encore peu de « nouveau monde ».