Sauver les lycées professionnels est un enjeu
pour tout le mouvement social
tribune de Benoît TESTE, secrétaire général de la FSU
Le président Macron veut imposer une réforme brutale des lycées professionnels qui consiste en particulier à diminuer drastiquement le nombre d’heures de cours au bénéfice de « stages en entreprise », et à faire exploser le cadre national des formations pour les « adapter » aux besoins économiques locaux des entreprises. Après des décennies pour faire reconnaître que les savoirs professionnels sont des savoirs à part entière, qui relèvent donc du champ scolaire et nécessitent des diplômes reconnus nationalement. Nous voilà revenus dans le modèle du vieux monde, celui qui a toujours pensé que la simple reproduction des gestes professionnels suffirait bien aux ouvriers ; qu’il n’y avait pas lieu qu’ils et elles accèdent à des savoirs émancipateurs et à une élévation de leur niveau de qualification.
Aujourd’hui, la France fait face à une pénurie de main-d’œuvre sans précédent et ce dans de nombreux secteurs d’activité. C’est dans ce contexte tendu pour les employeurs où les salarié-es retrouvent du pouvoir de négociation, que le gouvernement engage une série de « réformes ». S’il prétend les mener au prétexte du plein emploi, en réalité ce qu’il recherche c’est maintenir voire renforcer la concurrence entre salarié-es et précariser toujours davantage une partie croissante du salariat pour empêcher toute redistribution plus juste des richesses créées. Cela passe par une nouvelle réforme de l’assurance chômage, par un allongement du temps au travail – via la réforme des retraites, mais aussi par la réforme des lycées professionnels. Ces réformes serviront d’alibi pour contenir les exigences salariales mais aussi maintenir une pression sur les jeunes diplômé-es à l’entrée du marché du travail. Et pour cela : il faut mettre au travail et rapidement la jeunesse, quitte à ne plus la former, quitte à ne plus la certifier. C’est bien là le cœur de la réforme des lycées professionnels.
Orienter les jeunes dans les métiers en tension en supprimant les filières tertiaires dans lesquelles les jeunes poursuivent davantage leurs études, en augmentant de 50 % le temps de stages en entreprises pour qu’ils et elles travaillent à mi-temps et gratuitement pour l’employeur en classe de terminale, c’est ce modèle fortement corrélé à celui de « l’apprentissage » que le président Macron veut développer pour les lycées professionnels. Que ces choix politiques compromettent l’obtention du diplôme et donc leur avenir scolaire et professionnel n’est pas son problème. Après avoir dépensé des milliards d’argent public pour développer l’apprentissage, pour des résultats d’insertion très contestables et inégalitaires, il s’attaque désormais aux élèves de la voie pro en instrumentalisant leur orientation et leur parcours pour répondre aux besoins locaux et immédiats des branches professionnelles.
Alors que l’on a longtemps plaidé pour que l’élévation du niveau de qualification soit la norme pour l’ensemble des emplois – ce qui s’imagine aisément dans une société qui se complexifie – la réforme des lycées pros, si elle advient, réduira dangereusement les savoirs généraux et les compétences métiers des futur-es ouvriers-ères et employé-es de demain. Certes, les évolutions récentes des sociétés « modernes » tendent à polariser le marché de l’emploi. Mais, contrairement à certains pays (USA, ou Royaume-Uni), la France a conservé pour l’instant un nombre important d’emplois intermédiaires d’ouvriers-ères et d’employé-es qualifié-es par une persistance plus forte qu’ailleurs de métiers réglementés, par une Fonction Publique importante dans laquelle ces emplois sont fortement représentés – la Fonction Publique recrute a minima à un niveau 3 ou 4. Cette spécificité de la qualification de l’emploi en France est à mettre au crédit des luttes sociales qui ont aussi permis de scolariser la formation professionnelle initiale des jeunes à travers les lycées pro qui conduit des centaines de milliers de jeunes qualifié-es chaque année sur le marché de l’emploi.
Au final, cette réforme va compromettre l’avenir scolaire et professionnel de 680 000 élèves – celles et ceux les plus fragiles économiquement socialement et scolairement -. Cette réforme entend les propulser dès 15 ans au travail au détriment de leur formation et de leur certification. Elle organiserait le séparatisme entre les jeunesses lycéennes, où 1/3 d’entre elles et eux seraient privé-es à terme des cadres nationaux protecteurs de l’Éducation nationale ou de l’enseignement agricole et maritime public, qui garantissent la qualité des enseignements et l’égalité entre les élèves. Elle signe les prémices d’une privatisation d’un pan entier de ces ministères : la voie professionnelle scolaire. Au-delà d’une attaque frontale contre les enseignements généraux, donc à l’aspect émancipateur et citoyen des formations professionnelles des jeunes, cette « réforme Macron » des lycées pros vise à s’attaquer aux qualifications des ouvriers-ères et employé-es ce qui lui permettrait, dans la continuité de ses réformes précédentes, d’abaisser le « coût » du travail.
Alors que le lycée pro pourrait devenir le lieu d’enjeux essentiels pour notre société, par le développement de formations qui conduisent à des métiers nécessaires à la transition écologique, à la ré-industrialisation, à la prise en charge de la dépendance….le choix actuel est au contraire d’en faire un outil à la merci d’intérêts particuliers.
Loin de cette vision étriquée, libérale et purement utilitaire de l’École, la FSU défend un modèle de formation professionnelle initiale globale, émancipatrice, ancrée sur des diplômes nationaux garants de la qualification des emplois et de la reconnaissance des métiers. Elle combattra donc ce projet néfaste en défendant le modèle de l’enseignement professionnel public et laïque. Parce que la place d’un jeune de 15 ans, quelle que soit son origine sociale, n’est pas au travail mais à l’école. Parce qu’en France, se former à un métier est possible dans les lycées professionnels publics – ces derniers devant demeurer sous l’égide d’un ministère unique de l’éducation, plein et entier, regroupant Éducation nationale, Agriculture et Mer. Pour toutes ces raisons, c’est la FSU dans son ensemble qui mène et mènera ce combat contre le projet Macron, pour les jeunes, pour les professeur-es des lycées pros mais plus globalement pour l’ensemble de la société.
Benoît Teste
Secrétaire Général de la FSU