Réforme des retraites : après les salaires flexibles, voici les pensions flexibles !

Tribune publiée sur Le Monde.fr ; par Christiane Marty, chercheuse et Daniel Rallet, économiste /
En présentant ses propositions au « grand débat », la majorité LRM prétend améliorer le pouvoir d’achat des retraités les plus modestes en indexant leurs pensions sur l’inflation. Ce mode d’indexation est présenté comme favorable, ce qui a toujours été contesté par les syndicats et par de nombreux experts (« Vingt ans de réformes des retraites : quelle contribution des règles d’indexation ? », Insee Analyses, 2014).

Avant 1987, les pensions étaient indexées sur le salaire moyen dans le régime général, et dans la fonction publique jusqu’en 2003, elles suivaient l’évolution du point d’indice. La situation était beaucoup plus favorable pour les retraités puisque leur pouvoir d’achat suivait celui de la population active. Mais pour baisser la dépense, elles ont été indexées sur l’inflation.

La compréhension de ces mécanismes a été brouillée par le fait que les gouvernements successifs ont cessé de respecter les lois de 1993 et de 2003 garantissant l’indexation des pensions sur les prix. Ainsi, les pensions ont été gelées à deux reprises sous le quinquennat Hollande ; gelées à nouveau en 2018, alors qu’elles ont subi la hausse de la CSG. En août 2018, le premier ministre a annoncé que les pensions ne seraient revalorisées que de 0,3 % en 2019 et en 2020, au lieu de 1,8 % (inflation en 2018) et 1,6 % (inflation attendue pour 2019). Une sous-indexation de 1,3 point au minimum, encore plus sévère que celle appliquée depuis 2017 sur les pensions complémentaires Agirc et Arrco, qui n’est « que » de 1 point de moins que l’inflation.

Une manière plus discrète, mais également efficace, de baisser les pensions a été de reculer la date annuelle de leur revalorisation : depuis 2003, la revalorisation qui intervenait au 1er janvier a ainsi été reportée à trois reprises : une première fois de 3 mois, puis de 6 mois, puis encore de 3 mois. Au total, un an perdu de revalorisation, qui court sur toute la durée de retraite. Le manque à gagner est loin d’être négligeable…

Face à cette dégradation, la proposition qui émerge est le retour à l’indexation des pensions sur les prix. Cependant, ce mode d’indexation pose un vrai problème. Il aboutit au décrochage du niveau de vie des retraités par rapport à celui de la population active, car les revenus du travail progressent plus vite que les prix. Ce problème est connu, il était pointé par le rapport Moreau de la Commission pour l’avenir des retraites (2013), qui indiquait que « les décrochements du pouvoir d’achat relatif des retraités peuvent être considérables ». L’écart de niveau de vie s’accroît tout au long de la retraite et peut devenir énorme. Le rapport ajoutait que « le taux de pauvreté des plus de 75 ans est en nette augmentation. Au sein de cette population, les femmes isolées (notamment les veuves) sont surreprésentées ».

Paupérisation programmée

L’indexation des pensions sur les prix peut certes être opposée à la sous-indexation en cours et à la hausse de la CSG. Mais à moyen terme, elle est problématique. Pour empêcher la paupérisation des retraités pendant la durée de leur retraite, l’indexation des pensions sur l’évolution du salaire moyen par tête est une nécessité. Il faut y ajouter la garantie d’une évolution au minimum qui ne pourrait être inférieure à celle des prix.

Ce n’est pas du tout la direction prise par le Haut-Commissariat à la réforme des retraites. Dans un document distribué aux syndicats, il suggère une indexation sur la masse salariale ou sur le salaire moyen par tête… mais corrigée par un facteur tenant compte de l’espérance de vie et de la croissance économique. Après les salaires flexibles, voici les pensions flexibles ! L’indexation sur le salaire moyen ne serait en réalité qu’une indexation sur le salaire diminué de quelque chose (un ou plusieurs points) ! On passerait de la sous-indexation sur l’inflation à une sous-indexation sur le salaire.

L’objectif affiché est de plafonner à sa valeur actuelle la part des dépenses de retraite dans le PIB (13,8 %). Mais sachant que la part des retraités dans la population augmentera dans les prochaines années, décider de bloquer la part de leur revenu dans la richesse produite signifie programmer mécaniquement leur paupérisation ! Est-ce acceptable ? Les retraites relèvent d’un choix de société, donc du débat public sur la répartition de la richesse produite. Quel partage de la valeur ajoutée entre masse salariale et profits ? Et quelle répartition au sein de la masse salariale, entre revenus de la population active et retraitée, c’est-à-dire quelle solidarité entre les générations ?

Christiane Marty est membre de la Fondation Copernic. Daniel Rallet est membre d’Attac.

Ils ont coécrit Retraites, l’alternative cachée (Attac et Fondation Copernic, Syllepse, 2013).

 

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