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Articles CHRONIQUE «ECONOMIQUES»

La propagande du «trou de la Sécu»

Par Bruno Amable

La tactique pseudo-kéneysienne, déjà mise en œuvre aux Etats-Unis à la fin des années 1970, consiste à réduire les recettes de l’Etat pour forcer ensuite la baisse des dépenses sociales : la fameuse «politique des caisses vides».

L’avenir du système de protection sociale aurait dû être le sujet principal des débats de la campagne électorale de 2017. Il n’en a rien été pour au moins une raison, la volonté de dissimulation des plans funestes de «réforme» que certains candidats avaient dans leurs cartons. Par exemple, le programme d’Emmanuel Macron, publié très tardivement dans la campagne, ne parlait que de mettre en place un régime de retraite universel qui «mettrait fin aux injustices» ; mais il assurait aussi que cela n’affecterait ni l’âge de départ ni le niveau des pensions. Le seul régime spécial dont la suppression était explicitement mentionnée était celui des parlementaires.

Deux ans et demi après, la population commence à se faire une idée plus précise de ce qui est «en marche» avec les «réformes» de l’assurance chômage, de l’hôpital et des retraites. La tactique adoptée est aussi intéressante ; elle s’inspire de celle mise en œuvre avec plus ou moins de succès aux Etats-Unis à partir de la fin des années 1970. Elle a pour nom «starve the beast», littéralement «affamer la bête» ou plus librement «la politique des caisses vides».

Un économiste keynésien américain, John K. Galbraith, avait saisi le danger dès le début des années 60 lorsque, déconseillant au président Kennedy de mettre en œuvre une baisse des impôts d’inspiration soi-disant «keynésienne», il émettait des craintes quant à la contrainte sur les dépenses publiques qu’induirait une diminution des recettes fiscales. Il voyait là le risque de l’apparition d’une forme réactionnaire du keynésianisme.

La période qui suivit amena en effet le camp conservateur à abandonner en partie la religion de l’orthodoxie budgétaire pour considérer que la baisse des recettes de l’Etat était «la seule façon efficace de limiter la dépense publique», comme disait Milton Friedman en 1978. Il est amusant de voir que même James Buchanan, le pape de l’école du public choice dont le fonds de commerce est en principe la condamnation rituelle du déficit budgétaire et de la dette publique, allait se convertir à l’idée que baisser les recettes sans immédiatement diminuer les dépenses était un bon moyen de limiter la croissance du gouvernement. Cette politique eut en partie les effets escomptés mais n’alla pas assez loin selon une fraction du camp conservateur américain, certaines dépenses se révélant finalement plus difficiles à couper que prévu.

Le keynésianisme réactionnaire que redoutait Galbraith a traversé l’Atlantique et la politique des caisses vides fait partie de l’arsenal des moyens utilisés en France pour baisser les dépenses sociales depuis déjà un bon moment. L’argument du «trou de la Sécu» (1) pour justifier une «maîtrise» plus ou moins violente des dépenses de santé auprès de l’opinion semble inusable et l’usage de la baisse des recettes pour forcer celle des dépenses reste encore le moyen le plus simple de mettre en pièces l’Etat social.

On a récemment vu cette tactique à l’œuvre, s’appuyant sur la baisse des cotisations sociales et, depuis 2019, sur l’absence de compensation de la part du budget de l’Etat du manque de recettes correspondant pour le budget des organismes sociaux. Il y a, comme le souligne Henri Sterdyniak, la création d’un déficit de la Sécurité sociale de plus de 5 milliards d’euros avec l’obligation du remboursement d’une partie, 16 milliards d’euros, de la dette accumulée depuis la crise de 2008. Sans ces remboursements, la Sécurité sociale pourrait exhiber un excédent budgétaire de 11 milliards d’euros. On peut d’ailleurs noter avec intérêt que le déficit affiché correspond à la même somme que le total des exonérations de cotisations (5 milliards).

 

Engagé dans un vaste programme de régression sociale, le gouvernement utilise donc de vieilles recettes pour tenter de le faire passer auprès d’une opinion publique qui risquerait d’y être rétive si on ne la «travaillait» pas avec le danger du «trou de la Sécu» ou encore si on ne la sensibilisait pas aux odieux privilèges que constituent les régimes spéciaux de retraite. Cette propagande est grossière mais elle peut marcher si on ne remet pas d’urgence la priorité sur un débat public qui aurait dû se produire avant de confier un chèque en blanc à l’un des derniers croisés du néolibéralisme en Europe.

(1) Voir l’ouvrage de Julien Duval, le Mythe du «trou de la Sécu», Raisons d’agir, 2007.

Cette chronique est assurée en alternance par Pierre-Yves Geoffard, Anne-Laure Delatte, Bruno Amable et Ioana Marinescu.